Le pillage du patrimoine nigérien
Rencontre avec Oumarou Amadou Idé
Par Webmaster Publié le 30/11/2015
« Des textes réglementaires existent au Niger mais ils sont mal appliqués malheureusement. Ceux qui sont chargés de l’application de ces textes ne le font pas correctement, il y a aussi un manque de sensibilisation par rapport à ce patrimoine à l’endroit des populations qui s’adonnent par méconnaissance à son pillage », témoigne le professeur Oumarou Amadou Idé, chef du département d’arts et d’archéologies de l’institut de recherche en sciences humaines IRSH de l’université Abdou Moumouni de Niamey.
Parlez-nous du pillage de ces fossiles. Ce pillage est un phénomène de grande envergure, c’est une question qui fait couler beaucoup d’encre depuis plus d’une décennie en Afrique, au sud du Sahara, d’une manière générale et au Niger en particulier. Aujourd’hui avec cette question on a tendance à considérer le Niger comme la plaque tournante de ce phénomène de trafic du patrimoine culturel de manière global et archéologique en particulier. Il se trouve que le Niger est un pays extrêmement riche en vestiges archéologiques et paléontologiques, donc ceci à un moment donné a suscité un engouement certain au niveau des antiquaires, au niveau des trafiquants de toutes sortes qui se sont adonnés a ce pillage sauvage des vestiges archéologiques et même paléontologiques situés dans des zones assez reculées dont l’accès n’est pas toujours facile tel que le nord du pays, le Sahara où on trouve facilement ces vestiges. L’exposition internationale ‘vallée du Niger’ qui s’est tenue au Niger en 1998 a donné l’occasion de faire connaître un pan de notre patrimoine culturel, notamment les statuettes en terre cuite. Cette exposition a été le fer de lance de ce phénomène de pillage des sites qui, autrefois étaient craint parce que les gens pensaient que c’était des zones interdites. Dès l’instant où l’exposition a donné un éclat sur cette richesse on s’est retrouvé dans une situation difficile à maitriser. A l’ouest du Niger où se trouvent ces objets, les agriculteurs se sont adonnés à des fouilles sauvages des champs en creusant pour chercher des têtes de statuettes qu’ils vendaient à vil prix. En dehors de cela il y a eu des vagues de pillage dans le nord, rappelons-nous des saisis qui ont été effectuées à l’aéroport Charles de Gaulle de France en 2004 et en 2005. Il s’agissait essentiellement de fortes cargaisons d’objets archéologiques, des pointes de flèche y compris des objets paléontologiques, des ossements de dinosaures et des objets ethnographiques, toute une panoplie de ce patrimoine a été retrouvé à Roissy Charles de Gaulle. Heureusement par la vigilance de la douane française on a pu mettre la main dessus, ensuite suite à une série de pourparler ces objets d’arts sont revenus au Niger. Est-ce que ce sont les mêmes objets d’arts saisis en France qui ont été restitués au Niger, est-ce que c’est la totalité ? C’est difficile à dire. Avant l’arrivée des caissons on nous a d’abord envoyé une compilation d’images où des dizaines de caisses et de cartons ont été exposés, ouverts à l’aéroport et des spécialistes français ont donné leur avis. C’étaient des ossements de dinosaures, des objets ethnographiques, etc. Lorsque le Niger a été alerté par les autorités françaises par rapport à ces objets il y a eu une commission rogatoire qui a été mise en place afin d’échanger entre les deux pays. Les autorités en charge de ce domaine se sont mises d’accord pour rapatrier tous ces objets au Niger. Une cérémonie officielle s’est tenue au musée national pour la restitution de ces objets, une bonne partie est disponible aujourd’hui à l’IRSH et ça nous a permis, plutôt que de les garder dans des réserves fermés de débroussailler un peu ces objets et de mettre des étudiants là-dessus pour au moins les étudier. Pour nous c’est une méthode de sortir cette richesse de l’isolement scientifique, de pouvoir porter à la connaissance du public ce qui existe et ce qui demande d’être connu. C’est cela notre mission et je pense que c’est de cette manière seulement que nous pouvons appréhender au moins les mauvais esprits par rapport à ce pillage. Ce phénomène de pillage est criard, c’est une hémorragie, c’est devenu un phénomène mondial. Qui sont les auteurs de ce pillage ? Les auteurs sont divers et multiformes, je ne peux vous dire qu’il y a telle ou telle classe, il y en a toutes les corporations. Prenons comme exemple le cas du ‘cavalier de bourra’ qui a faillit nous passer entre les doigts à cause de nos responsable politiques au premier chef qui voulait arracher de force cet important élément ‘le cavalier de bourra’ qui a été la mascotte de l’exposition internationale ‘vallée du Niger’. Cette pièce rare importante pour la culture nigérienne a faillit être pris par un homme d’état qui voulait en faire cadeau, c’est un scandale. Saluons la vigilance du responsable du département archéologique à l’époque feu Boubé Gado (paix à son âme) qui avait bien perçu le danger qui nous guettait et qui avait usé de son arme scientifique de technicité pour faire comprendre aux autorités que le patrimoine c’est un patrimoine national, ça appartient à tous les nigériens et qu’un seul individu ne peut pas s’en approprier qu’en bien même il soit le premier responsable de ce pays. Je pense que ce sont des actes de ce genre qu’il faut encourager pour freiner un peu le pillage. Les pilleurs, ils sont dans les coins, il y en a même dans notre milieu dit intellectuel, il y en a qui s’adonnent à cela, qui sont même complices de ceux qui n’ont peut être pas une bonne perception de la dimension culturelle ou scientifique de ces objets là. On en trouve un peu partout soit dans le circuit du tourisme, soit des simples individus qui s’adonnent à cette tâche, parce que quelque part il est prouvé que l’objet archéologique ou paléontologique a une valeur marchande inestimable. Qu’en est-il de la pyramide de Zinder dont on parle ? C’est du n’importe quoi. C’est quelqu’un qui n’est même pas connu du milieu scientifique et qui n’a pas les qualités requises qui a été sérieusement financé pour des recherches dites archéologique s’il vous plait, il faut qu’on apprenne à être sérieux dans ce pays. On a fait appel à des soi-disant spécialistes égyptiens qui étaient venus ici nous ridiculiser, ridiculiser l’Etat du Niger à cause de ces fameuses pyramides dont le monsieur a rêvé. Si cela est vrai, que ceux qui ont commandité ces recherches sortent nous dire et nous montrer du doigt la pyramide qu’ils ont trouvé. Nous, nous sommes des chercheurs, qu’on arrête alors de nous ridiculiser, qu’on nous prenne au sérieux dans ce pays. Tout le Niger a été discrédité par rapport à ça aux yeux des égyptiens, parce que ce sont nos collègues qui étaient venus ici et nous avons leur rapport de mission qui dit qu’il n’y a rien, ce ne sont pas des pyramides. Mais si on ne crois plus à nos propres compétences où est-ce qu’on va alors. Pour x ou y raisons on n’accorde pas d’importance aux chercheurs nigériens, on leur ferme la porte et on cherche quelqu’un dans le néant, qui sort du néant pour usurper, parce qu’il s’agit d’une usurpation de titre, usurper les qualifications qui ne sont pas les siennes. J’interpelle nos responsables d’être lucides par rapport à ce domaine de recherche et de prendre contacte au moins avec les institutions nationales. propos receuillis par Walter Issaka lundi 30 novembre 2015 Dans la même catégorie |
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